UN ESPION ORDINAIRE : VA BENE
Avec son physique hors du commun et son goût pour les personnages « bigger than life », Benedict Cumberbatch pouvait-il vraiment jouer Un espion ordinaire ?
Au rayon mythologique, il aura été Sherlock Holmes, le détective relifté par la BBC, Khan, le vilain culte du reboot de Star Trek, Smaug, le dragon des Hobbits de Peter Jackson, Shere Khan, la panthère CGI du Livre de la jungle, ou Doctor Strange, le scientifique psyché de l’écurie Marvel. Au rayon biopic son tableau de chasse est encore plus affolant. Il interpréta, en vrac, Julian Assange, Alan Turing, Vincent Van Gogh, Thomas Edison, Stephen Hawking ou tout récemment Dominic Cummings, l’ex bras-droit de Boris Johnson. Ça fait beaucoup pour un seul homme. C’est désormais une évidence, Benedict Cumberbatch n’est pas fait jouer les monsieur Tout-le-monde. C’est ce que raconte sa filmo, c’est ce qu’a toujours laissé entrevoir son physique. Des petits yeux mi-clos perçants, une voix qui monte en un instant dans des graves himalayesques et ce front immense qui raconte un gout prononcé pour le cérébral : l’alliage est en effet beaucoup trop notable et sophistiqué pour jouer l’homme du peuple.
Le titre français de son nouveau film, Un espion ordinaire, semble s’amuser de cette singularité qui fait tout le sel de son interprète, et très vite on va découvrir que l’espion joué ici par Cumberbatch n’a évidemment absolument rien d’ordinaire. Il s’agit en l’occurrence de l’anglais Greville Wynne, homme d’affaires qui traversait régulièrement le rideau de fer au milieu des 60’s et fut ainsi recruté par les services secrets britanniques à un moment où la guerre froide montait sévèrement en température. Le monsieur cessa donc d’être ordinaire dès lors qu’il devint un agent double, ramenant des infos de première main aux gouvernements occidentaux - et ce en pleine crise des missiles de Cuba. Et si Wynne n’est peut-être pas une figure si célèbre pour les français, les anglais au fond ne connaissent que lui - d’ailleurs la BBC lui a déjà consacré une série et un documentaire. Cumberbatch offre un peu de son talent caméléon à cet anti- James Bond dont toute la problématique était justement de paraître le plus ordinaire possible, de ne jamais se faire repérer, de se fondre littéralement dans le décor.
En ce sens c’est une véritable performance pour un acteur qui aime à ce point se faire remarquer et les performances tonitruantes. Ici, il faut donc se faire discret, parce que l’histoire, la grande comme la petite, l’exige. Et même si Cumberbatch navigue à l’intérieur de son genre préféré, le biopic british, c’est tout son système qu’il met soudainement en crise, et sa volubilité, en sourdine.
Une chose reste immuable en revanche : le talent, qui éclabousse encore l’écran.