SIMPLE COMME SYLVAIN : MONIA CHOKRI, L’AMOUR EN HÉRITAGE
En seulement trois films, la Québécoise Monia Chokri (La Femme de mon frère, Babysitter) s’est imposée comme l’une des voix les plus atypiques et prometteuses du cinéma d’auteur francophone. À l’occasion de la sortie de sa décapante comédie romantique, rencontre avec une cinéaste qui ne badine pas avec l’amour.
Simple comme Sylvain est votre troisième long - métrage, mais c’est aussi votre troisième film sur le couple. Qu’est-ce qui vous passionne dans ce sujet-là ?
Tout dans l’amour me passionne et me questionne. En travaillant sur le film, j’ai compris que le couple était une structure sociale et politique (comme peut l’être la famille), et que c’est justement pour cette raison qu’ il m’exaspère autant qu’ il me questionne. J’aime l’amour, j’ai envie d’amour, mais le système du couple me contraint. C’est passionnant de questionner nos modes relationnels à travers cette structure-là.
Même s'il présente plusieurs modèles amoureux, le film apparaît comme un portrait assez pessimiste du couple. Quels sont les éléments qui ont nourri votre réflexion sur la question ?
Je me nourris de mes lectures [dans le film, Sophia évoque les théories sur l ’amour de Platon, Spinoza, Schopenhauer, Jankélévitch et bell hooks, ndlr], mais aussi de ce que j’observe autour de moi. Les couples de mon entourage, les manières qu’ils ont de se comporter, les choses qu’on me confie… tout ça nourrit mes réflexions. Après, je ne suis pas sûre que le portrait que je fais du couple soit pessimiste, parce qu’on peut aussi se dire qu’il est réaliste. Il y a un million de façons de vivre les choses, mais le fait est que je me positionne de mon propre point de vue de femme, et que de ce point de vue, j’ai vraiment le sentiment que le système du couple contraint un peu plus les femmes que les hommes.
Votre cinéma aborde toujours plus ou moins frontalement la question de la maternité. Après l’avortement dans La Femme de mon frère (2019) et le post-partum dans Babysitter (2022), ici Sophia se retrouve confrontée aux injonctions à devenir mère.
La maternité fait partie des questionnements de la vie d’une femme, des injonctions qu’on lui impose. Je n’ai pas d’enfants, mais on m’a souvent demandé si j’en voulais. Si je disais que je n’étais pas sûre, on me répondait que ça allait forcément venir plus tard… Au début du film, Sophia ne veut pas d’enfant avec Xavier, mais elle change d’avis lorsqu’elle rencontre Sylvain. C’est intéressant de voir un personnage qui, comme beau coup d’autres femmes aujourd’hui, s’autorise à ne jamais avoir un avis véritablement tranché sur la question.
Simple comme Sylvain est une histoire d’amour, mais c’est aussi l’histoire d’une rencontre entre deux milieux sociaux différents. Pourquoi choisir de raconter l’amour par ce prisme ?
Mes parents étaient militants, ça fait partie de mon éducation. Dans La Femme de mon frère, j’en parlais déjà à travers la figure du transfuge de classe par l’immigration. Pour ce film, la question de la classe est venue à partir d’une réflexion sur le territoire. Je voulais essayer de comprendre comment, au sein d’une même nation, on peut avoir une culture et des idées très différentes selon l’environnement (la ville, la campagne) dans lequel on évolue. Il y a aussi l’idée que le couple, en tant que système, permet la reproduction des inégalités sociales. On ne traverse pas les classes sociales dans nos relations amoureuses, il n’y a qu’une infime partie de la population qui le fait. Je trouvais ça intéressant de mettre en opposition cette idée-là avec celle du sentiment amoureux.
Pensez-vous que votre cinéma s'attachera toujours, d'une manière ou d’une autre, à parler du couple et de l’amour ?
Je pense que je ne fais que commencer à réfléchir sur la question. Je sais que mon cinéma va continuer à parler d’amour, même s’il ne parlera pas forcément du couple. Je suis en train de réfléchir à mon prochain film, et je me rends compte que c’est une thématique qui m’obsède. C’est un peu comme les périodes chez les peintres : Picasso a eu sa période bleue, moi je suis dans ma période love (Rires).
Cette interview est issue du Mag by UGC.
Simple comme Sylvain, à retrouver actuellement dans nos cinémas.