SICK OF MYSELF LA NÉVROSE DU SIÈCLE
Remarquée au Festival de Cannes 2022, Grand Prix à l’Étrange Festival, la comédie ovni du Norvégien Kristoffer Borgli épate par sa vision décadente d’une jeunesse connectée, et par son sens aigu de la cruauté.
Si des dizaines de cinéastes se sont attaqués à notre époque avec plus ou moins de succès, bien peu l’ont fait avec la verve punk de Kristoffer Borgli. À 38 ans, le Norvégien capte les travers d’une génération connectée à l’excès, au point de sombrer dans son propre reflet, quitte à vendre son âme au diable pour quelques likes sur les réseaux sociaux. De ce postulat, digne héritier du fameux "quart d’heure de célébrité" warholien, Borgli tire une tragédie 2.0, sur fond de crise conjugale. Il invente un couple asymétrique, où se déchirent un artiste en passe d’accéder à la célébrité et sa petite amie "anonyme" Signe – campée avec un immense talent par Kristine Kujath Thorp.
Face au narcissisme éhonté d’un compagnon qui la délaisse, face à une jalousie devenue irrépressible, Signe accomplit un acte fou : ingérer des pilules pour faire croire à son entourage qu’elle a contracté une maladie rare. Au risque d’y sacrifier jusqu’à son corps... Satire conjugale, comédie noire, voire variation comique du body horror cronenbergien; en un mélange des genres inouï, le cinéaste bricole ses influences. Sans les imiter, il en tire un objet unique, où la répulsion côtoie la fascination. Il fabrique un pur monstre de cinéma, situé dans un monde aux faux airs de cartoon sous psychotropes. Un monde aux frontières de la folie contemporaine.
DÉLIRANT, FRÉNÉTIQUE, INSAISISSABLE
Loin de rester au niveau d’une simple idée de scénario, Kristoffer Borgli invente une forme cinématographique à lui seul – ce qui explique ce Grand Prix "Nouveau Genre" décerné en festival. Outre l’effrayante – ou hilarante, c’est selon – métamorphose de son héroïne en mal de reconnaissance, Sick of Myself élabore ses propres règles, son propre ton.
Échafaudé en une suite de scènes souvent autonomes, le récit enchaîne gags et chutes grotesques sans s’essouffler. Délirant, frénétique, insaisissable, il échappe ainsi à tous les pronostics et joue sur l’effet de surprise. Sans oublier de distiller le malaise avec un vrai sens du rythme, le temps de séquences lunaires qui évoquent le cinéma mal élevé de Ruben Östlund. Voilà sans doute l’exploit accompli par le film : désarçonner à un tel point qu’on ne sache plus très bien si l’on rit ou si l’on pleure. Puissant.
Cet article est issu du Mag by UGC.
Sick of myself, actuellement dans nos salles.