MA MÈRE, DIEU ET SYLVIE VARTAN
Roland, petit dernier d’une famille juive d’origine marocaine installée dans le XIIIe arrondissement de Paris, est né avec une malformation : un pied-bot que les spécialistes n’arrivent pas à soigner. Mais pour la mère de Roland, la fatalité n’existe pas. Cette dernière a décidé que son fils cadet aurait autant de chances dans la vie que les autres enfants de son âge et elle va s’y employer.
Pourquoi y aller : À l’origine de ce long-métrage, l’histoire de l’avocat des stars Roland Perez, qu’il a raconté avec pudeur dans une autobiographie du même nom que le film. C’est l’histoire d’un petit garçon ayant grandi dans le Paris populaire des années 1970. À cause de son handicap de naissance, il aurait pu voir la vie passer devant lui sans rien pouvoir en faire. Mais c’était sans compter sur ses passions : les chansons yéyés de l’idole blonde Sylvie Vartan, l’amour de jeunesse qui deviendra son épouse, puis la mère de ses enfants, et surtout la foi inébranlable d’une mère, certes possessive, mais prête à déplacer des montagnes pour son fils. Un tel matériel romanesque permet au cinéaste Ken Scott de construire un film émouvant et porté du début à la fin par la formidable Leïla Bekhti. Ici, l’actrice ressemble aux grandes comédiennes italiennes des sixties et trouve son plus beau rôle. De son côté, Jonathan Cohen est tout à fait convaincant dans le registre doux-amer du fils cherchant à s’émanciper.
ENTRETIEN AVEC LEÏLA BEKHTI
Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan raconte l’histoire vraie de Roland Perez, fils cadet d’une famille juive marocaine qui a vécu sa jeunesse avec un handicap, et deviendra l’avocat de Sylvie Vartan. Qu’avez-vous pensé de ce scénario quand vous l’avez lu ?
Je l’ai lu d’une traite et il m’a bouleversée. Mais, au départ, j’avoue que je ne me rendais pas compte qu’il s’agissait d’une histoire vraie. J’étais simplement heureuse de recevoir une proposition de Ken Scott, un cinéaste étranger, mais aussi le réalisateur de Starbuck, que j’adore. J’ai lu le livre de Roland Perez dans un second temps et c’était sans doute mieux ainsi… En tout cas, quand j’ai rencontré Roland Perez pour parler du rôle de sa mère que j’allais interpréter, il s’est passé quelque chose de l’ordre de l’évidence : la sécurité affective qu’il a ressentie au sein de sa famille me rappelle celle que j’ai connue moi-même, enfant… Très vite, il a eu la délicatesse de me dire : « Tu vas interpréter ma maman, mais il faut que tu aies toute latitude pour te détacher de ce qu’elle était vraiment. » J’avais besoin d’entendre ces mots. Dans toute ma carrière d’actrice, c’est la première fois que j’interprète un personnage que l’on suit durant une cinquantaine d’années.
Que vous inspire le personnage d’Esther, cette mère prête à remuer ciel et terre pour que son fils ait une belle vie ?
C’est la première fois que je joue quelqu’un qui déborde autant d’affection et la première fois aussi que je joue une conviction. Personne ne peut rien contre la force des convictions d’une mère. Il y a un truc animal dans cette équation. En jouant Esther, qu’on voit donc vieillir, j’ai beaucoup pensé à ma grand-mère, dont j’étais très proche. À ma naissance, elle vivait sous le même toit que mes parents. J’ai gardé beaucoup de souvenirs d’elle, comme sa manière de me regarder, ses petits pas dans les couloirs qui me donnaient l’impression d’entendre quelqu’un qui, au fur et à mesure qu’elle vieillissait, glissait de plus en plus.
Vous est-il déjà arrivé de vous demander ce qu’étaient devenus certains personnages que vous avez joués, comme Lila de Tout ce qui brille ou Amanda du Grand Bain ?
Je me souviens du discours de Philippe Katerine au moment où il a reçu son César du second rôle pour Le Grand Bain. Il a parlé de ce qu’allait devenir son personnage Thierry, et ça m’a touché. Après ça, je me suis demandé : « Mais c’est vrai ça. Que deviennent ces personnages qu’on a joués et avec lesquels on a partagé nos vies ? À quoi pourrait ressembler l’existence de Lila passée la quarantaine ? » Je ne sais pas si ce rôle d’Esther répond à cette interrogation, mais je me suis rendu compte que la transformation physique – jouer une version âgée de moi-même – m’a donné la sensation d’avoir un poids en moins. Tu t’habitues à la vulnérabilité et tu oublies le regard extérieur. À l’arrivée, cela te libère autant en tant que comédienne qu’en tant que femme.
Avant ce film, les chansons de Sylvie Vartan faisaient-elles partie de votre vie ?
Honnêtement, je connaissais Sylvie Vartan, mais de loin. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, on a eu un vrai coup de cœur. Pourtant j’étais hyper impressionnée, à cause de cette image de grande dame de la chanson un peu distante. En réalité, elle est très chaleureuse et même très drôle. Ce qui me touche beaucoup, c’est qu’elle a réussi à préserver sa vie privée. Elle fait partie de ces artistes qui ont réussi à créer autour d’eux une famille fidèle. Les gens qui restent attachés au même entourage professionnel et amical, ça a toujours tendance à me rassurer.
Comprenez-vous mieux maintenant la ferveur qui entoure cette chanteuse ?
Oui, d’autant que j’ai eu la chance d’assister à son concert d’adieu (le 26 janvier dernier au Palais des Congrès à Paris, ndr). Dans le spectacle il y a ce truc assez fou : derrière elle, il y avait un grand écran qui diffusait des tas de petits courts-métrages sur sa vie, ses chansons, ses proches. Tu la vois avec les Beatles, à Las Vegas, à moto avec Johnny, bien sûr… Et avec ces images, tu réalises jusqu’à quel point sa musique a traversé la vie de beaucoup de monde, et a été raccord avec une foule d’événements sociétaux, de changements de modes. Et toi, dans la salle, tu te dis : « Mais, en fait, il y a toute la France des dernières décennies dans Sylvie Vartan. » Au moment où elle a chanté « La Maritza », j’ai essayé de capter les regards des gens du public et même de lire à travers. J’ai eu l’impression que ses chansons avaient guéri beaucoup de personnes à différentes époques.
Y a-t-il des films ou des actrices qui ont eu sur vous le même impact que la musique de Sylvie Vartan sur Roland Perez ?
Oui, mais je l’ai compris qu’après, quand j’ai vu pour la première fois un film comme La Strada et une actrice comme Giulietta Masina ou encore Julia Roberts. La scène de Pretty Woman où elle se rend pour la première fois à l’opéra, j’y suis avec elle. Ça m’a donné un sentiment d’émancipation. Avec les années, j’ai de plus en plus la « bêtise » de penser qu’un film, un disque, un livre a été fait pour moi et qu’il pourrait me faire dévier de mon axe.
Cet article est issu du Mag by UGC.
Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan, un film labellisé UGC Aime, à découvrir actuellement au cinéma.