LE SENS DE LA FAMILLE : ÉCHANGE DE BONS PROCÉDÉS
En poussant dans ses derniers retranchements le genre « body swap », la comédie de Jean-Patrick Benes organise un grand carnaval burlesque et offre à sa troupe d’acteurs l’occasion de « performer » comme jamais.
Une cadette dans le rôle de la peste, des ados rebelles en pleine poussée d’hormones, une mamie gentiment réac et le duo Franck Dubosc-Alexandra Lamy en guise de parents au bout du rouleau : voilà le schéma le plus classique d’un foyer tel qu’en raffole la comédie hexagonale depuis des années, sûr que personne ne sera dépaysé.
Sauf que Le Sens de la famille est bien au courant de ce constat, et s’il part d’un cliché bien essoré c’est pour mieux le dynamiter pendant les 90 minutes qui vont suivre. Ainsi, une fois tous les archétypes esquissés et la crise domestique bien établie, un argument parfaitement fantaisiste va venir subitement redistribuer toutes les cartes : un beau matin tous les membres de la tribu vont réaliser qu’ils ont échangé leurs corps.
On est alors propulsé dans un genre bien connu de amateurs de comédies US : le film de « body swap » (« échange de corps » en VF) - dont les sommets seraient Big (avec Tom Hanks), Solo pour deux (avec Steve Martin) ou encore les Freaky Friday (avec Jodie Foster ou Lindsey Lohan selon votre date de naissance). Sauf que là encore les balises vont exploser. Tandis qu’on imagine que les échanges seront « définitifs », le film de Jean-Patrick Benes va organiser un grand tourniquet où les esprits des six protagonistes vont sans cesse « switcher » d’un corps à l‘autre, selon l’humeur du film et les besoins du scénario.
Les grands gagnants de cette valse burlesque, ce sont évidemment les acteurs qui vont interpréter jusqu’à trois ou quatre rôles différents en totale lâcher-prise. Evidemment, au sein de cette petite troupe, ceux qui focalisent tout de suite l’attention du spectateur ce sont bien sur les deux têtes d’affiches, Lamy et Dubosc, complètement déchainés. Si l’une est devenue l’une des actrices les plus populaires du pays en proposant depuis toujours une palette de jeu assez large et en variant les compositions avec un certain sens de la virtuosité, l’autre est essentiellement aimé pour son éternel personnage de dragueur-loser qu’il perfectionne d’un film et d’un spectacle à l’autre depuis presque trois décennies. De fait, le retrouver ici interpréter tour à tour, une petite fille capricieuse de 7 ans puis une jeune adolescente Instagram tient de la pure performance d’acting- et, pour lui, de la véritable prise de risque. C’est en tout cas le signe que le garçon semble tenir à rediscuter son image depuis quelques temps - et notamment depuis qu’il est passé à la mise en scène avec le joli Tout le monde debout, où figurait déjà, tiens, tiens, Alexandra Lamy. Ici qu’il se mette dans les chemises bien défraichies d’un patriarche anesthésié par son quotidien morose ou qu’il emprunte la garde-robe fluo de ses deux filles, plus rien ne relie vraiment Franck à Dubosc. Et c’est comme si soudainement un nouveau tempérament comique venait d’éclore dans le paysage français.
Jean-Michel Lassault