LE MAL N’EXISTE PAS, L’HARMONIE SELON RYŪSUKE HAMAGUCHI
Cinéaste de l’incommunicabilité par excellence, Ryūsuke Hamaguchi est de retour avec une œuvre percutante, qui sonde les rapports humains à l’aune de la gentrification.
Largement découvert en France lors de la sortie d’Asako I & II en 2019, le cinéma du japonais Ryūsuke Hamaguchi n’en finit plus de conquérir le public international. En 2021, Drive my car et Contes du hasard et autres fantaisies se voyaient respectivement attribuer les honneurs du Festival de Cannes et de la Berlinale, avec le – très mérité – Prix du scénario et l’Ours d’Argent; tandis que Le mal n’existe pas a décroché l’an dernier le Lion d’Argent de la Mostra de Venise. Si le cinéaste nippon s’attire les faveurs du jury des plus grands festivals de cinéma du monde, c’est par son sens aigu de la mise en scène, qui fait de chacune de ses réalisations un objet filmique passionnant à analyser et à explorer. C’est d’autant plus vrai avec Le mal n’existe pas, dont la tendance à l’épure paraît radicalement trancher avec les films précédents du cinéaste. Prenant pour point de départ l’annonce d’un projet de glamping (c’est-à-dire un camping de luxe, destiné à une clientèle aisée) dans un village forestier près de Tokyo, le film s’attarde longuement sur le rapport qu’entretient l’humain avec son environnement. À travers les personnages de Takumi (Hitoshi Omika, auparavant assistant réalisateur sur Contes du hasard et autres fantaisies) et de sa fille, Hana (Ryo Nishikawa), il donne à voir, au moyen de longues scènes puissamment hypnotiques, comment se mène une existence en symbiose avec la nature. Couper du bois pour se chauffer, récupérer de l’eau de source pour alimenter le restaurant voisin, cueillir du wasabi sauvage… tels sont les gestes, précis et répétitifs, qui rythment le quotidien de Takumi.
UNE FORCE INDICIBLE
Cette installation est d’autant plus saisissante qu’elle précède une longue séquence d’échanges – chez Hamaguchi, la parole est d’or – entre les riverains et les représentants de l’entreprise en charge du projet de construction. Une séquence qui rend palpable la fracture qui sévit entre deux conceptions radicalement opposées de la vie en société. Sans
céder aux sirènes du didactisme et du manichéisme, Hamaguchi met en scène une force indicible, portée par l’irruption de ces personnages étrangers au fonctionnement du village, qui parachève le dérèglement d’une société bientôt rattrapée par l’impétueuse marche du monde.
Le Mal n'existe pas, à découvrir actuellement au cinéma.