Figure de la série à succès Dix pour cent, auréolée du César de la meilleure actrice l’an dernier, Laure Calamy a dompté un cinéma français qui ne peut désormais plus se passer d’elle. Ça tombe bien : dans le magnifique buddy movie au féminin Les Cyclades, elle crève l’écran de son énergie presque clownesque. Rencontre.

Vous retrouvez avec ce film Marc Fitoussi, qui a réalisé plusieurs épisodes de la série Dix pour cent.

Laure Calamy : Ça a été une vraie rencontre entre nous ! Il est très gourmand, très à l’écoute des propositions de ses acteurs et actrices. Lui-même prenait beaucoup d’initiatives sur la série. Je me souviens d’une scène dans la saison 3, où je devais tirer le Yi King à Mathias. Comme je lui répétais un mot façon mantra, Marc avait proposé de filmer un plan très rapproché de ma bouche ; c’était audacieux ! De la même manière, il était prévu que mon personnage porte un corset classique à la suite d’un accident. Or j’avais envie d’un corset plus extravagant, plus grotesque ; c’est Marc qui m’a soutenue dans cette idée, alors que ce n’était pas évident au départ.  

On a souvent l’impression que vos rôles sont écrits sur mesure, et qu’ils ne pourraient pas être joués par une autre. Comment les préparez-vous ?

Un rôle, c’est toujours une rencontre entre-soi et cet autre imaginaire. Malheureusement, cette rencontre ne se prépare pas  ! On la rêve, on la fantasme… mais tout se passe dans le présent du tournage. Tout simplement car la matière d’un film s’écrit à plusieurs ; j’ai beau bien connaître Olivia Côte, je ne savais pas ce qu’on allait créer ensemble avant d’arriver sur le plateau. En même temps, je cherche à être dans l’instant présent, à faire surgir une part d’imprévu, de déséquilibre, d’inattendu sur un tournage. Ce qu’on cherche, c’est justement l’inconscient. Magalie, je ne l’ai connue qu’en sautant dans le vide. Mais il y a des rôles pour lesquels on se prépare de manière très précise : sur À plein temps d’Éric Gravel, j’ai appris les gestes des femmes de chambre dans les hôtels de luxe. Cela permet de soulager l’angoisse, car on a l’impression d’amener un petit bagage avec soi sur le plateau.

Le rôle de Magalie est l’un des plus extravagants de votre répertoire. Comment jongler avec le grotesque sans verser dans le ridicule ?

Au contraire, il faut tomber dans le ridicule ! J’aime lorsqu’on se dit que c’est drôle, puis ça en devient presque gênant, on est mal à l’aise… et d’un coup, on est ému. C’est tout
le cinéma de Marc, qui se situe sur une crête entre le rire et l’émotion. Ce n’est pas une autoroute toute tracée : on n’est jamais sûr de la destination, et parfois ça bifurque. C’est comme si une partition invisible se jouait sous l’humour, dans le secret des personnages. Et puis quand j’y pense, le buddy movie français existe surtout au masculin. Il y a les films de Francis Veber, qui sont géniaux  ! Mais on se dit : "Mince, on a aussi envie d’en écrire pour les femmes." D’autant qu’on a souvent dénié leur féminité à celles qui osaient faire de l’humour, grotesque de surcroît. Depuis quelques années, une porte s’est vraiment ouverte à ce niveau : on le voit beaucoup dans les séries, d’ailleurs.

Magalie est vraiment un personnage inoubliable, car bourré de paradoxes : autant on sent chez elle beaucoup de joie et d’optimisme, autant elle dissimule une forme de violence…

Oui, elle s’oblige presque à la joie pour masquer ses brisures. C’est aussi ce qui constitue la dignité de cettefemme : rester toujours fidèle à cette chance qu’on a d’être en vie. Accueillir ce qu’on lui offre, quand bien même les années passent. J’adore cette phrase de Virginie Despentes : "Passé 40 ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée." Ça décrit bien les personnages, notamment Blandine. À l’inverse de Magalie, elle se considère comme une femme "périmée" car c’est ce que la société nous inculque. Magalie le refuse : elle n’a pas froid aux yeux avec les hommes, elle affirme son désir, elle s’en fout si ça ne marche pas. Je la compare à un colvert  : elle plonge dans ses affres, puis elle ressort. Les choses de la vie lui glissent dessus, sans jamais ternir son panache.

Cette interview est issue du Mag by UGC.

Les Cyclades, à découvrir dès maintenant dans nos cinémas. Ce film a reçu le label UGC M.

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