LA ZONE D’INTÉRÊT, DISSONANCE COGNITIVE
Dix ans après le choc Under the Skin (2013), le trop rare Jonathan Glazer est de retour avec un film qui propose une illustration glaçante du concept de "banalité du mal".
Dans le jargon technique et déshumanisant de la bureaucratie nazie, "la zone d’intérêt" fait référence au périmètre de 40 km² du camp deconcentration d’Auschwitz. C’est dans cette zone, derrière les cloisons bétonnées qui ne dissimulent que trop peu l’horreur de l’entreprise encours, que le Général Rudolf Höss, commandant du camp et l’un des principaux artisans de la "solution finale", vit dans le confort d’une maison coquette avec son épouse et ses quatre enfants. Adaptation libre du roman éponyme de Martin Amis, paru en 2014, le film de Jonathan Glazer nous invite ainsi à pénétrer dans l’intimité du foyer des Höss. Et par ses choix de mise en scène radicaux, échappe avec brio à l’écueil auquel se heurtent la plupart des films sur la Shoah : investir les camps comme s’il s’agissait d ’un banal territoire de fiction.
C’est tout l’intérêt du film, qui ancre son récit dans le réel – là où MartinAmis avait fait le choix de renommer ses personnages et de les affubler de traits de personnalités au grotesqueassumé –, comme pour mieux saisir l’horreur de ce qui se joue, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du cadre. Plus troublant encore, le film a été tourné en Pologne, à seulement quelques kilomètres d’Auschwitz, au moyen d’un dispositif inédit, semblable à celui utilisé dans la téléréalité. Soit un réseau de caméras de surveillance, fixes et partiellement cachées, disposé dans l’ensemble de la maison des Höss (recréée de toutes pièces par l’équipe technique), destiné à capturer plusieurs séquences simultanément.
DE L’IMPORTANCE DU HORS-CHAMP
Le résultat, fruit d’un travail qu’on imagine titanesque, fait l’effet d’unuppercut. Et ce, dès sa séquence d’ouverture, soutenue par l’obsédantepartition expérimentale de Mica Levi, qui confronte pendant quelques minutes le spectateur à un écran noir. Avant-programme qui révèle l’extrême importance du hors-champ sonore, propice à souligner l’ampleur de l’horreur qui se déploie à une cadence industrielle de l’autre côté de la clôture des Höss. Car l’horreur a ici un son : les cris de terreur, les vociférations, et les vrombissements incessants des fours crématoires, auxquels se superposent des scènes de vie familiale d’une terrifiante banalité.
Cet article est issu du Mag by UGC.
La Zone d'Intérêt, un film labellisé UGC Aime, à découvrir actuellement au cinéma.