Adepte du pastiche et de la comédie, Michel Hazanavicius s'est lancé dans un nouveau défi : réaliser son tout premier film d’animation. Une incursion bouleversante dans l’univers du conte, pour évoquer avec subtilité les heures les plus sombres de l’Histoire. Rencontre.

Le film est adapté du conte éponyme de Jean-Claude Grumberg, paru en 2019. Comment la découverte de ce récit a-t-elle nourri votre désir de cinéma ?
On m’a envoyé les épreuves du livre avant qu'il ne soit publié, et déjà, j’avais la sensation d'accéder à quelque chose de particulier. C’est vraiment la découverte de cette histoire bouleversante qui m'a convaincu de me confronter à cette page de l’Histoire. Ce n'était pas quelque chose d’évident pour moi au départ, je n’avais pas spécialement le désir de faire des films qui parlent du génocide juif. Mais j'ai trouvé cette histoire tellement belle que j’ai eu envie de porter la voix de Grumberg au cinéma.

Votre film sort plusieurs mois après La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer, dont la sortie a ravivé le débat sur la représentation de la Shoah au cinéma. Comment vous êtes-vous confronté à cette question durant le processus de création du film ?
Les camps ne sont pas du tout le sujet du film, le sujet, ce sont les Justes. En ça, l'épine dorsale du film est déjà extrêmement positive, parce que les personnages qui sont mis en lumière et en valeur dans cette histoire, ce sont ceux qui, quand le monde était à l’envers, ont su faire le choix de l’humanité et de la dignité. À partir de là, la question de la représentation des camps n’est plus au cœur du récit. On ne peut pas montrer frontalement ce qu’il s’est passé dans les camps. Je pense que le bon moyen, c’est l’évocation, la suggestion. Pour ça, l’animation est un outil qui est plus riche que le réalisme pur et dur de la prise de vues réelles.

Le film est justement ponctué par une séquence très forte, qui dévoile l'ampleur de l'horreur des camps et son impact sur les survivants. Comment avez-vous abordé ces scènes, très abstraites picturalement parlant ?
Pour ces scènes, je me suis raconté que le personnage voyageait dans le royaume des morts. On passe donc d’images animées à du dessin inanimé. Les images se figent, il n’y a plus de couleur. J’ai essayé de trouver des images qui ne soient pas une représentation frontale, mais qui passent plus par des visages. C’est un temps donné au spectateur pour se représenter, avec propre éthique et sa propre morale, l’insupportable. La séquence dure délibérément presque trop longtemps, parce qu’il est impossible d’évoquer le génocide sans que ça ne soit désagréable. Pour raconter ce contexte, il faut aller à cet endroit, sinon on bascule très vite dans du Disney.
 
Dans une autre scène , on accède à l'intérieur du train par l'intermédiaire de l'esprit du bûcheron. C’est une scène silencieuse, mais d'une grande intensité. Comment l’avez-vous pensée ?
Ce n'est pas raconté comme ça dans le livre, l'histoire du couple de bûcherons et celle des camps avancent en parallèle dès le début. J'ai voulu garder l’esprit du conte le plus longtemps possible, et créer un mouvement qui va de la fiction vers la réalité. Ça commence comme le Petit Poucet, et ça se termine dans la gare de Varsovie des années 60, donc dans quelque chose de très réaliste. Dans ce mouvement, la réalité de l’histoire commence avec les camps, et je l'introduis à travers les yeux du personnage de conte. Dès que ce personnage disparaît, on aperçoit un oiseau, qui part de l’univers du conte pour nous amener jusqu’au camp, c'est-à-dire à la réalité. Pour les scènes à l’intérieur des wagons, je voulais d’abord créer ce motif obsédant du train, sa rythmique, le claquement des roues sur les rails. Et je voulais que ce soit muet, je trouve que ça crée la bonne distance.

Le fait d’avoir confié le rôle du narrateur à Jean-Louis Trintignant ajoute une dimension émotionnelle supplémentaire au film.
L’enregistrement avec Jean-Louis Trintignant, c’est la première chose que j'ai faite quand j’ai commencé le film. Je trouvais que cette voix de vieil homme, chargée de tout ce qu’il a vécu, lui donnait une dimension classique et intemporelle. C’était exactement ce que je recherchais, parce que c’était ce que j'avais ressenti en lisant le livre de Grumberg. Aujourd’hui, tout ça s’est teinté d'une couleur encore plus particulière, parce qu’il est parti pendant la fabrication du film. C’est un reste de vie qui nous parvient de là où il est, c’est très troublant. Et je crois que ce n’est pas anecdotique, ça a aussi un lien avec ce dont parle le film.

Cet article est issu du Mag by UGC.
La Plus Précieuse des marchandises, un film labellisé UGC Spectateurs, à découvrir actuellement au cinéma.

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