JE SUIS TOUJOURS LÀ, DE WALTER SALLES
Avec 3 millions d’entrées, Je suis toujours là, dixième long-métrage du réalisateur de Central do Brasil est devenu un phénomène aussi bien cinématographique que sociétal au Brésil. Le cinéaste explique pourquoi il a tenu à raconter un épisode peu connu des années de dictature militaire dans son pays.
Depuis sa sortie sur les écrans brésiliens, votre film est devenu un phénomène de société. Qu’est-ce qui explique l’engouement, selon vous ?
C’est récent, mais les gens commencent enfin à interroger ce qu’a été le Brésil pendant les années de dictature. Avant, nous avions tendance à mettre les événements liés à cette période sous le tapis. En un sens, c’est assez logique : le Brésil, au contraire de l’Argentine ou du Chili, n’a pas jugé les crimes commis pendant la dictature. Quand les militaires ont quitté le pouvoir, ils ont négocié la transition en refusant de répondre de leurs crimes. Résultat : il n’y a pas eu le soulagement et la reconnaissance qu’offre la justice aux victimes quand elle décide d’emprisonner les tortionnaires. Et aujourd’hui, au Brésil, de plus en plus de voix remettent en cause ce statu quo…
Pour donner un visage aux victimes de cette dictature militaire, vous racontez l’histoire d’une famille, les Paiva, brisée par l’arrestation de Rubens, le père. Vous avez connu cette famille ?
J’avais 13 ou 14 ans quand j’ai fait la connaissance de Nalu, une des filles de cette famille, et je me souviens très bien de l’ambiance intense et chaleureuse chez eux. Leur maison à Rio était ouverte sur le monde extérieur : fenêtres jamais fermées, porte sans clés, tourne-disque qui jouait sans arrêt de la musique tropicaliste… Entre leurs murs, vous aviez l’impression d’appartenir à une société humaine, enthousiaste et démocratique. Il y avait les parents, les cinq enfants, de 9 à 18 ans, mais aussi les tribus amicales des uns et des autres. Ici, on pouvait parler de tout avec passion : politique, culture, musique… Chez les Paiva, on sentait le désir d’un Brésil plus inclusif, polyphonique. Tout cela est resté en moi, mais il a fallu la sortie du livre de Marcelo Rubens Paiva (Ainda Estou Aqui), en 2015, pour penser à un film.
Diriez-vous que votre film raconte le passé de votre pays pour en sécuriser l’avenir ?
L’expérience de la présidence Bolsonaro nous a fait comprendre que la dictature, qu’on pensait derrière nous, peut toujours revenir. À nous de repenser nos stratégies et notre art pour que le progrès s’impose aux yeux du jeune public. Plus vous donnez de livres, de films et d’expositions à la jeune génération, plus elle refusera les diktats des réseaux sociaux. Maintenant que les jeunes générations ont vu que l’extrémisme pouvait revenir au pouvoir au Brésil, elles se posent des questions sur les années de la dictature militaire.
Cet article est issu du Mag by UGC.
Je suis toujours là, un film labellisé UGC Aime, à découvrir actuellement au cinéma.