GREEN BORDER, ZONE GRISE
Haletant, humaniste, nuancé, le nouveau film d’Agnieszka Holland s’empare d’un sujet tout à la fois crucial et tabou : la gestion des migrants à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.
Une forêt indéterminée, où s’étendent des sapins à perte de vue. Leur teinte verte s’assombrit soudain; n’y subsiste plus qu’un noir et blanc charbonneux, celui qu’a choisi Agnieszka Holland pour filmer Green Border. En deux temps trois mouvements, tout est dit: nous entrons dans une zone quelque part entre la Pologne et la Biélorussie. Une "zone grise" où passent des fantômes qui indifférent tout le monde, où la loi au sens moral du terme ne s’applique plus. Avec humilité, la cinéaste va pourtant nous y plonger deux heures durant. Et nous confronter à la réalité d’un effroyable vide politique et humain, aux frontières de l’Europe.
Patiemment, le film nous embarque d’abord avec une famille de migrants syriens, lâchés en pleine forêt tandis qu’ils tentent de rejoindre la Pologne, porte d’entrée vers l’Europe. C’est sans compter sur les garde-frontières, qu’ils soient polonais ou biélorusses, qui se renvoient les migrants comme on se renverrait une patate chaude. Transformés en marchandise encombrante, déshumanisés : le mot est lâché, Agniezska Holland en fait l’implacable démonstration - sans en imputer l’entière responsabilité aux jeunes militaires en poste, malgré les accusations d’anti-polonisme dont la cinéaste polonaise a fait les frais en septembre dernier dans son pays. Green Border était alors présenté à la Mostra de Venise, où il est reparti avec le Prix spécial du jury.
UN PUISSANT RÉVÉLATEUR
Comment rendre compte d’une situation complexe, fondée sur des rapports de pouvoir qui pèsent autant sur les victimes que sur les bourreaux ? Agnieszka Holland a une idée simple : multiplier les points de vue, nous faire passer de chaque côté de la barrière. Non seulement avec les gardefrontières et les migrants, mais aussi avec les activistes humanitaires qui œuvrent dans l’ombre. Et le film d’explorer ainsi patiemment son sujet, pour dénoncer plus largement la démission des autorités publiques qui délèguent ce problème à l’arbitraire de quelques-uns, le déni le disputant alors à la cruauté humaine. Cette "zone grise" d’abord trouble, la cinéaste en révèle finalement les fantômes ; elle en fait l’endroit d’un discours politique juste et nuancé. Preuve que le cinéma peut agir comme un puissant révélateur... au grand dam de ceux à qui profite la grise confusion des esprits.
Cet article est issu du Mag by UGC.
Green Border, un film labellisé UGC Découvre, à découvrir actuellement au cinéma.