DRUNK : ÉLOGE DE LA CUITE
Dans Drunk, quatre profs de lycée décident d’appliquer une théorie préconisant que nous devrions tous vivre avec 0,5 gramme d’alcool dans le sang. Thomas Vinterberg, le réalisateur, nous explique comment filmer l’ivresse dans tous ses états.
Peu importe le flacon
Représenter l’ivresse au cinéma ne supporte pas l’approximation. Thomas Vinterberg ne s’est donc pas contenté de potasser l’œuvre du psychiatre Finn Skårderud, un scientifique qui assure que pour vivre mieux il faut vivre (un peu) bourré, il est carrément allé à sa rencontre. « Vingt ans plus tard, il continue de soutenir sa théorie. Il m’a demandé : “Thomas, combien connais-tu de couples qui se poussent mutuellement à la sobriété?” J’ai répondu: aucun. Voilà un homme intelligent! » Côté cinéma, le Danois a fait l’impasse sur les acrobaties beurrées de Jackie Chan dans les Drunken Master, trop irréalistes. « J’ai pas mal puisé dans Zorba le Grec. J’ai aussi revu Husbands de Cassavetes, Fight Club, La Grande Bouffe… et plein de vidéos de Russes bourrés! Le problème, c’est que, quand les gens sont vraiment très saouls, la réalité semble trop absurde. »
Chacun son poison
Ok pour la théorie, mais comment mener ses acteurs, dans la pratique, sur les voies sinueuses de l’ivresse? «On a fait beaucoup de répétitions pour tester les différents niveaux d’alcoolémie. Le plus compliqué, pour eux, c’était de cacher leur jeu quand ils étaient en dessous de 0,6 degré. Parce que quand on est un peu pompette, on essaye justement de ne pas le montrer: on reste droit sur sa chaise, on garde sa chemise boutonnée. » Quatre acteurs, ce sont donc aussi quatre manières différentes de diriger. « L’un d’eux a une formation théâtrale, il savait tout faire au niveau physique – bouger, tomber –, mais ses yeux restaient trop sobres. Un autre, au contraire, avait un regard crédible, mais était moins à l’aise pour se lâcher physiquement. Et puis Mads, lui, a sa propre manière d’être saoul: il perd vite sa capacité à articuler, mais pas son équilibre.»
À consommer avec modération
Titubant entre comédie et drame, montrant les méfaits de l’alcool comme ses bienfaits, Drunk s’efforce de ne porter aucun jugement moral. À ce propos, ça ne picolait pas aussi un peu pendant les prises? « Je les ai fait boire pendant les répétitions, mais pas trop, juste pour leur donner un coup de starter. Une fois les barrières tombées, ils n’avaient plus besoin d’alcool pour jouer. » Pour prouver que l’ivresse n’est pas qu’au fond de la bouteille, Vinterberg a même mené sa propre expérience: dans une scène où profs et étudiants s’enivrent dans le même bar, il a versé de l’alcool dans la moitié des verres. «Quand j’ai questionné les acteurs sur leurs sensations, ils ont tous affirmé être ivres. En fait, le plus important, c’est l’atmosphère. D’ailleurs, le sujet du film, c’est moins l’alcool que la perte de contrôle.»
Michaël Patin