ADN : HISTOIRE DE SA VIOLENCE
Avec ADN, mélo familial sur le deuil et la quête identitaire, Maïwenn revisite les deux thèmes clés qui infusent sa filmographie : la violence et l’autofiction.
Pardonnez-moi (2006)
Première démonstration de force pour Maïwenn qui nous embarque, caméra au poing, dans le quotidien d’une famille toxique minée par des affaires de coucherie et de maltraitance infantile. La violence imprègne toute l’œuvre : elle est physique, visuelle, psychologique, s’insinue dans les dialogues hurlés par les acteurs et jusque dans les mouvements d’une caméra, qui tangue comme sur un ring. Sous ses allures de (faux) documentaire, Pardonnez-moi tourne donc au règlement de compte familial à la Festen. Maïwenn, qui prête ses traits à Violette, le personnage central du film, y met en scène les traumas de sa propre enfance: les coups de son père, l’indifférence de sa mère et l’impuissance de sa fratrie. Une blessure ouverte dont les stigmates imbiberont ses futures réalisations
Le Bal des actrices (2009)
Le ton est léger et la mise en scène burlesque, mais c’est bien la violence d’une profession que Maïwenn choisit de placer au centre de son deuxième film. Sous couvert d’humour, la cinéaste raconte les névroses de ses copines actrices, leurs égos surdimensionnés qui se heurtent à l’humiliation permanente du métier, mais aussi la peur de se voir remplacée par des minois plus jeunes, plus talentueux. Pour ce second « faux documentaire », la cinéaste brouille un peu plus les pistes entre fiction et réalité en interprétant une version caricaturale d’elle-même. Présente dans presque tous les plans, Maïwenn finit même par avouer, dans une scène finale désopilante, que le véritable sujet du film c’est elle et personne d’autre.
Polisse (2011)
En suivant une équipe de la Brigade de protection des mineurs, Maïwenn encapsule la violence dans ce qu’elle a de plus répugnant, puisqu’elle touche essentiellement aux enfants. Des actes pédophiles à la délinquance forcée, Polisse pose un regard froid sur une misère sociale qui s’infiltre sous toutes les portes, celles des familles bourgeoises comme celles des sansle-sou. La cinéaste se glisse cette fois dans la peau d’un personnage un peu en retrait, celui d’une photographe bien née qui va capturer le quotidien de ladite brigade. Maïwenn joue ainsi son (presque) propre rôle à l’écran, comme si, quel que soit son sujet, elle ne pouvait pas s’empêcher d’occuper une place de choix à l’intérieur de tous ses films. Son prochain opus prouvera pourtant le contraire...
Mon roi (2015)
La violence prend cette fois les traits d’un personnage à part entière : Georgio (Vincent Cassel), le pervers narcissique qui va faire vivre le paradis et surtout l’enfer à sa compagne Tony (Emmanuelle Bercot). Le film est un rodéo sentimental qui alterne, jusqu'à l’épuisement, les scènes d’une infinie douceur et les moments de pure brutalité. Les personnages s’époumonent, font l’amour et se rabibochent pour mieux se détruire. Ici, Maïwenn endosse entièrement sa casquette de réalisatrice et reste pour la première fois derrière son moniteur. L’histoire de Tony et Georgio ferait-elle écho à son passé amoureux? Elle jure que non, on n’est pas obligé de la croire.
ADN (2020)
Dans ADN, la perte d’un proche va faire s’effondrer les fondations fragiles d’une famille franco-algérienne. Maïwenn y raconte la violence du deuil, mais aussi celle des mots: les dialogues âpres, cassants et lourds de conséquences, jalonnent le film. On retiendra notamment une scène d’une violence verbale inouïe entre Fanny Ardant (qui joue la mère) et Maïwenn (qui joue la fille et l’héroïne du récit). Là encore, difficile de ne pas faire le lien entre la vie de la réalisatrice et celle de son personnage (les racines algériennes, l’amertume envers ses parents, la grande fratrie). Le personnage du défunt est d’ailleurs calqué sur celui de son grand-père: lui aussi est algérien, lui aussi a connu la guerre. La disparition de ce pilier familial plongera la protagoniste dans une crise identitaire obsessionnelle – tout comme Maïwenn qui, avant de faire ce film, s’est longuement interrogée sur ses racines. La boucle serait-elle enfin bouclée ?
Julia Mothu