Après une trilogie de films sur la médecine (Hippocrate, Médecin de campagne et Première Année), Thomas Lilti concrétise l’un de ses désirs de cinéma : filmer les enseignants. L’occasion d’échanger avec le cinéaste sur les secrets de fabrication de ce vibrant film de groupe.

Comment l’envie de vous consacrer à un corps de métier différent de celui que vous aviez l’habitude de filmer s’est imposée ?
Il se trouve que mon père est médecin, que je le suis devenu aussi, mais je viens en réalité d’une famille de profs. Il y a quelque chose de cet univers qui m’a beaucoup imprégné pendant toute ma jeunesse. Quand j’ai commencé à faire des films sur la médecine, je me suis senti redevable. Je voulais réussir à parler de ces profs que j’ai côtoyés, que je continue à côtoyer.

Le film réussit le pari de ne jamais verser dans le manichéisme. Comment s’est construit cet équilibre au moment de l’écriture ?
Dans mes précédents films, je pouvais me permettre de donner mon avis sur le système de santé. Pour ce long-métrage, je n’ai pas essayé de faire un film militant, parce que je ne me sentais pas légitime à le faire. Les enseignants, ce sont avant tout des hommes et des femmes qu’on va souvent réduire à leur statut. Quand on est élève, on a l’impression que le prof n’a pas de vie en dehors de la classe. Ce qui m’intéressait, ce n’était donc pas tellement de filmer les profs en classe, mais plutôt ce qui se passe autour. Les liens qu’ils tissent entre eux, leur rapport à leur fonction… Mais aussi leur vie intime.

Aviez-vous des références cinématographiques précises en tête ?
Ce sont surtout des souvenirs de films sur l’école qui m’ont plu. Je peux citer par exemple, Entre les murs (2008) de Laurent Cantet, qui m’avait beaucoup marqué à sa sortie, notamment pour sa représentation réaliste de l’école, le sentiment d’immersion dans une classe ; L’Esquive (2004) d’Abdellatif Kechiche, dont les scènes de classe me sont restées en tête, mais aussi Diabolo-Menthe (1977) de Diane Kurys, dont l’ambiance me plaisait beaucoup. J’ai également été inspiré par des films qui ne parlent pas du tout d’école, comme Polisse (2011) de Maïwenn, parce qu’il réussit à nous faire ressentir une vraie solidarité de groupe entre les personnages. En réalité, mes principales sources d’inspiration ne se trouvent pas vraiment du côté de la fiction, mais plutôt dans des articles et des reportages qui mettent en avant les témoignages des profs.

Les enseignants du film forment une grande famille très soudée. Comment vous y êtes-vous pris pour retranscrire cette ambiance à l’écran ?
J’ai conscience qu’il y a plein de collèges où ça ne se passe pas bien, où les équipes pédagogiques ne s’entendent pas... En revanche, je sais qu’il y en a aussi beaucoup où c’est justement toute cette solidarité, et cette fraternité qu’il peut y avoir entre les profs, qui leur permet de supporter la solitude et les difficultés de leur métier. Je ne dis pas que c’est forcément comme ça que ça se passe dans un collège, mais plutôt que c’est comme ça que ça devrait se passer. L’idée, selon laquelle le collectif permet parfois de supporter des choses qu’on ne pourrait pas supporter tout seul, me donne foi en l’humain.

Vous vous êtes justement constitué une troupe d’acteurs, que l’on retrouve tout au long de vos films. Qu’est-ce qui vous plaît dans cette façon de tourner « en famille » ?
C’est extrêmement agréable de retrouver des comédiens qu’on aime – en tant qu’acteurs et dans la vie. Quand j’ai commencé à tourner avec Vincent Lacoste, il avait 18-19 ans. Le succès d’Hippocrate (2014) nous a permis de créer des liens très forts. William [Lebghil] est ensuite arrivé sur Première Année (2018) grâce à Vincent, car ils étaient déjà très amis, ce qui a créé encore davantage de liens. Puis François [Cluzet] est arrivé pour Médecin de campagne (2016)… L’essentiel, c’est de tourner avec des gens qui ont confiance en moi. Ça me permet vraiment de me challenger, de leur montrer au fil des films que j’ai progressé, autant qu’ils ont progressé.

Pensez-vous réaliser une « trilogie de l’enseignement », sur le modèle de vos trois précédents films ?
Je n’ai pas encore commencé à envisager la suite. Ce que je sais, c’est que je suis passionné par ces thématiques de l’engagement dans son travail, le fait de trouver du sens dans le métier qu’on fait… C’est vraiment à travers cet angle-là que j’ai envie de construire mes personnages.

Cet article est issu du Mag by UGC

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