LES FILLES D’OLFA ZOOM SUR KAOUTHER BEN HANIA
Dans une édition cannoise 2023, très riche en documentaires, un film s’est distingué de par son originalité. Les Filles d’Olfa nous plonge en effet dans la vie et le destin hors norme d’une mère célibataire en Tunisie; une vie dont l’aspect tragique n’a rien à envier aux plus grands récits de fiction. Mère de quatre filles, Olfa a perdu ses deux aînées, qu’elle croit disparues à jamais. Forte d’un immense appétit de cinéma, Kaouther Ben Hania innove; ce ne sera ni un documentaire ni une fiction, mais un peu des deux. Un film où les disparues seront ressuscitées par des actrices, quand Olfa et ses filles deviendront elles-mêmes actrices de leur propre vie.
La fiction s’immisce alors chez cette mère tunisienne, qui rejoue à l’écran des scènes de son existence. Son destin devient un théâtre, un lieu de pure mise en scène où se déversent pourtant des émotions bien réelles – et souvent bouleversantes. Proche du cinéma hybride d’Abbas Kiarostami, le travail de Kaouther Ben Hania invente une autre manière de documenter le réel. Une approche déjà en germe dans son premier long-métrage, Le Challat de Tunis (2015), une « comédie documentaire » où elle cavalait caméra au poing, à la recherche d’un mystérieux agresseur de femmes. Huit ans plus tard, on l’entend toujours parler derrière sa caméra, pour interroger ou rassurer directement ceux qu’elle filme.
UNE CINÉASTE COMBATIVE
Voix singulière du cinéma tunisien, Kaouther Ben Hania l’est aussi par ses thématiques rares. Ainsi, elle dénonçait la complaisance face aux violences sexuelles avec le stupéfiant La Belle et la meute (2017), qui voyait son héroïne réclamer justice après un viol commis par des policiers. Là encore, elle illustrait son propos par un dispositif étonnant; filmée en de longs plans séquences, l’action donnait le sentiment d’être vécue – ou plutôt éprouvée – en temps réel. Les Filles d’Olfa apparaît comme le point d’orgue d’une carrière où se mêlent engagement politique et expérimentation formelle. La cinéaste y défie alors toutes les règles – en l’occurrence, cette délimitation entre réel et fiction – pour toucher au plus juste la douloureuse intimité d’une famille.
Cette interview est issue du Mag by UGC.
Les Filles d'Olfa, à découvrir actuellement dans nos cinémas.