CRUELLA : FÉLIN POUR L’AUTRE
Et si la méchante Disney campée par la toujours géniale Emma Stone était un hommage revendiqué à la Catwoman jouée il y a bien longtemps par Michelle Pfeiffer ?
L’année prochaine Batman Returns (Batman : le défi en VF) fêtera ses 30 ans. Malgré le sentiment d’étrange proximité qu’on peut entretenir avec cet objet inouï qui a rendu les super-héros solubles dans le cinéma d’auteur, c’est donc ce qu’on peut appeler désormais un « vieux film », voire carrément « un classique », eh oui. Née en 1988, Emma Stone n’avait pas encore quatre ans lorsque le film de Tim Burton est sorti en salles mais on veut bien prendre les paris ici qu’elle a passé une bonne partie de son enfance à le regarder en boucle en VHS. C’est en tout cas ce qui vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on observe sa performance dans Cruella (nouveau spin-off Disney centré sur une « méchante ») qui est conçu comme un hommage direct, évident, subjuguant au personnage de Catwoman établie trois décennies plus tôt, par le réalisateur d’Ed Wood et son interprète, Michelle Pfeiffer.
Double identité, démarche matou, regard tuant et look gentiment bondage : ça saute aux yeux, la jeune Cruella fait tout comme la plus belle féline gothique des 90’s. Et une fois cette référence rapidement déclamée, au bout d’une bonne demi-heure de film, Emma Stone lâche complètement la bride et se met à vampiriser un objet conçu sur mesure pour elle. Evidemment, on est tous là pour assister à ce genre de performances amusantes et tapageuses qui mettent les stars en valeur, mais comme toujours, l’héroïne de La La Land va un cran plus loin que la concurrence. Et à l’image du modèle Pfeiffer, son extravagance ne dope pas que son star-power.
Ici, elle est au service d’une émotion, donc du personnage. Orpheline, surdouée, géniale et sensible, son Estella est un pur archétype à la Dickens qui va donner naissance à Cruella, qui est l’expression maniaque de tout son surmoi et de son génie. Stone zappe de l’une à l’autre avec sa virtuosité coutumière, surtout elle offre à ce personnage tout en contraste et en contradiction, une même dimension pathétique qui fait tout le sel du projet.
Outre leur rapport compliqué vis-à-vis des gros chienchiens, facile ainsi de tisser des liens entre Estella/Cruella et Selina/Catwoman, deux femmes essorées par le monde du travail, débarrassées de toute histoire romantique et qui vont s’inventer un double maléfique pour enfin s’émanciper du regard des autres. Il y a trente ans, Catwoman élaborait, à l’intérieur d’un énoooorme film de studio, cette hypothèse d’une antagoniste bouleversante, d’une méchante qui avait « ses raisons », d’une (super) vilaine sublime et malmenée, qu’on aimait encore plus que le (super)héros. Cruella transforme l’esquisse en modèle de série. Mieux : elle n’a même pas besoin d’un quelconque Batman pour la mettre en valeur.
Le film porte désormais son nom. Les méchantes ont gagné et c’est tant mieux.
Jean-Michel Lassault