ADIEU LES CONS : ALBERT DUPONTEL, MAIS POURQUOI EST-IL SI GENTIL ?
Après son coup Lemaître (Au revoir là-haut), Albert Dupontel avait promis de revenir à l’ordinaire de ses petits cartoons destroy en descendance Vil Coyote. Pourtant, Adieu les cons carbure moins au bordel qu’à la tendresse maternelle.
D’Au revoir là-haut à Adieu les cons, il y a une sacrée coïncidence de titre (« J’écrivais déjà Adieu les cons quand l’opportunité d’Au revoir là-haut s’est présentée »). Mais peut-être aussi une envie de prendre congé, de s’échapper, de partir ailleurs pour mieux revenir à la petite histoire, « toujours la même », qu’Albert Dupontel n’a jamais cessé de raconter. Une histoire de filiation interrompue, de cordons ombilicaux en dérangement et de transmission impossible.
Tout Dupontel tient dans cette proposition : l’être humain est un orphelin en devenir, un vilain petit canard abandonné à lui-même dans un monde hostile prêt à le hacher menu. Alors il cogne, il explose, il implose, dans une pulsion (auto)destructrice burlesque, qui tient autant du cri primal que des Looney Tunes.
Mais ça, c’était avant.
Dès 9 mois ferme, son grand succès (2 millions d’entrées en 2013), Dupontel a entamé lentement mais sûrement une sorte de mue sensible. « J’avais fait Enfermé dehors puis Le Vilain. Je m’étais bien amusé, avec mes plans penchés et mes points de vue de tortues, mais j’ai senti que j’avais besoin de me rapprocher. » Se rapprocher ? Mais de quoi, de qui ? « Des gens, donc de moi… » Petit à petit, le point se fait sur les personnages féminins, des stars plus grandes que lui (Sandrine Kiberlain, Virginie Efira), qui amènent leurs tons spécifiques, leurs regards, leurs fêlures, leur fleur de peau, leurs fragilités, au milieu des ruades de son rodéo filmique. « Une femme, par son incarnation, relativise votre mauvaise humeur, observe-t-il. Dans mes films, j’ai besoin qu’il y ait une parole. Et si cette parole est vindicative, elle gagne à passer par un personnage fragile. »
Auprès de Virginie Efira, l’acteur/ cinéaste choisit de jouer le fauve amadoué, un peu triste, vaguement penaud, qui ne demandait finalement qu’à ouvrir son cœur et à lâcher les violons. «Bernie était complètement hors des clous. Les personnages d’Adieu les cons, en revanche, c’est vous, c’est moi, ce sont des gens qu’on connaît. Avec ce film, j’ai osé l’impudeur d’un certain réalisme psychologique.
Depuis 9 mois…, c’est vrai, il y a eu chez moi un cheminement vers une réalité que j’avais jusque-là préféré mettre à distance. Sans doute parce que c’est plus facile de faire le guignol que de se confronter à soi-même. Peut-être que je vieillis, aussi ? » Adieu les cons conserve l’urgence d’une grenade dégoupillée, sa charge sociale, sa frénésie quasi suicidaire, l’énergie de la fuite en avant de personnages qui n’ont rien à perdre, comme une équipe qui, une fois la défaite acquise, se met à jouer libérée, pour la beauté du geste. La révolte, la rage et l’énergie du désespoir deviennent une fièvre romantique, un baroud d’honneur, un dernier pour la route, une étoile filante.
1 h 26 d’incandescence, de drôlerie et d’humanisme fous, où Dupontel venge les souffrances des « petites gens » qui n’ont jamais eu pied dans le grand bain du monde contemporain. Le cap du septième film, ça existe ? Au hasard, Raging Bull (Scorsese), E.T (Spielberg), Inception (Nolan), Parasite (Bong Joon-ho)… Il semblerait que, à ce stade, un réalisateur commence à très bien savoir ce qu’il fait… À la caméra, les perspectives forcées, les grands mouvements, les coups d’accélérateurs de Dupontel sont toujours là. Mais devant, les acteurs/personnages ont troqué l’histrionisme outré pour une forme de naturalisme mélo, plus féminin, plus juste, plus réconfortant que dévastateur.
Sept films, comme sept ans, on dirait l’âge de raison.
Allo Mamans, ici Albert
Chez Dupontel, depuis dix ans, les mamans en crise tiennent le premier rôle.
Catherine Frot dans Le Vilain Maman indestructible, Catherine Frot joue au chat et à la souris avec son vilain de fils, gangster irrécupérable. Ou plutôt au chat et au canari (une des passions d’Albert), puisque Catherine Frot a des allures de Titi et lui des airs de Grosminet pas plus finaud (ni chanceux) que le vrai. L’instinct maternel de Dupontel restait encore à affiner.
Sandrine Kiberlain dans 9 mois ferme Cassante, sévère et pas forcément juste, la juge Kiberlain n’aime pas les hommes, surtout les sociopathes « mangeurs d’yeux » joués avec les rouflaquettes d’Albert. Le vrai moment charnière du cinéaste a lieu dans ce film: la bascule du vitriol trash à une forme de douceur humaniste. Tous ces gens, finalement, ne sont pas ce que l’on croit, ils ne sont pas forcément ce qu’ils croient eux-mêmes. Derrière les coucheries ivres mortes et les tentatives d’avortement sauvages se cachent des cœurs qui battent, à l’unisson de celui du public.
Virginie Efira dans Adieu les cons Une naissance sous X et une vie qui s’écoule ensuite, dans les regrets éternels d’une maternité empêchée. Virginie Efira amène chez Dupontel les dérèglements émotionnels de ses portraits de femmes auteuristes (Victoria, Sibyl, Continuer) et tient le film continuellement au bord des larmes. « Sur le plateau, elle m’a cueilli plusieurs fois, raconte Dupontel. Elle génère des émotions très puissantes. Comme partenaire, il faut savoir les recevoir. Et comme cinéaste, tu restes discret et tu te sers, comme un gros voyeur… »
Paul Firmin